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J.R.R. Tolkien, le créateur de la Terre du Milieu

Tolkien et Oxford (3/4)

par Ancalimë (A.C.)
mise à jour : 22.08.2008

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4 - Oxford, un cadre idéal pour un écrivain

A - Le professeur Tolkien et l’auteur du Seigneur des Anneaux : deux personnes différentes

«  Il me vient en tête que, pour l’apparence extérieure, c’est vraiment l’archétype du don d’Oxford, parfois même la caricature. Or c’est justement ce qu’il n’est pas. C’est plutôt comme si quelque étrange esprit avait pris l’aspect d’un vieux professeur. Son corps est entrain d’arpenter une pauvre chambre de banlieue, mais son esprit est très loin et parcourt les plaines et les montagnes de la Terre du Milieu. »

Humphrey Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie, Il est allé à l’intérieur du langage.

Humphrey Carpenter, lorsqu’il raconte sa rencontre avec Tolkien, ne cesse de pointer la différence qu’il y a entre la vie banale que le professeur Tolkien a mené et la richesse et l’unicité de son œuvre.

A propos du Seigneur des Anneaux, Tolkien disait : « On n’écrit pas une telle histoire à partir des feuilles d’arbres non encore observées, ni grâce à la botanique ou à l’étude des sols ; elle pousse comme une graine dans le terreau de l’esprit, de tout ce qu’on a vu, qu’on a lu, ou qu’on a pensé, qu’on a oublié depuis longtemps et qui est descendu tout au fond.» Avec ces paroles, Tolkien différencie nettement son œuvre de toute autre chose. Ce qui a fait naître le Seigneur des Anneaux, comme n’importe quelle autre partie de son œuvre, c’est quelque chose qui est intimement enfoui en lui, et qui par conséquent rien à voir avec le « monde extérieur », composé entre autres de sa vie de professeur d’Oxford. Voilà qui explique les mots de H.Carpenter sur l’opposition qu’il y a entre le Professeur Tolkien et l’auteur du Seigneur des Anneaux.

B - Un cadre idéal pour l'écriture


Vue d'Oxford : High Street

Il semble cependant qu’Oxford ait été un cadre idéal pour l’écriture. La ville est vivante sans être excitée, chaleureuse sans être envahissante, colorée sans être aveuglante. Partout le ton est juste et l’équilibre trouvé, ne serait ce qu’entre les magasins aux façades « authentiques », typiquement anglaises, et les majestueux et austères colleges, qui parsèment la ville. A la chaleur que dégage la ville se mélange une sérénité et un calme très forts, qui expliquent pourquoi cette ville est universitaire par excellence. Par ailleurs Oxford est une ville très « verte », les parcs publics et les jardins botaniques sont très nombreux ! Tolkien devait trouver à Oxford l’environnement idéal pour écrire, le calme, mais qui n’est pas privé de vie, et les espaces verts, lieux de longues promenades et de rêveries, sans compter l’université en elle-même qui lui fournissait des ouvrages et un savoir, au moins linguistique, qu’il a transmis à son œuvre.

Le lieu de travail de Tolkien, là où il écrivait et rêvait de la Terre du Milieu, c’était son bureau, son monde à lui. Voici la description que donne Humphrey Carpenter du bureau de Tolkien au 76 Sandfield Road, là où il lui a rendu visite : «  Les étagères sont bourrées de dictionnaires, d’ouvrages d’étymologie, de philologie, de textes en plusieurs langues, surtout en ancien anglais, en moyen anglais et en vieux nordique. Il y aussi une partie consacrée aux traductions du Seigneur des Anneaux en polonais, en hollandais, en danois, en suédois et en japonais. La carte de son imaginaire « Terre du Milieu » est épinglée au cadre de la fenêtre. Par terre une très vieille valise pleine de lettres, sur le bureau des bouteilles d’encre, des plumes, des porte-plume et deux machines à écrire. La pièce a une odeur de livres et de tabac» (H.Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie)

C - C.S. Lewis et les Inklings


C.S. Lewis

C’est à Oxford que Tolkien fait connaissance avec CS Lewis, qui sera son premier public et avec qui une profonde amitié se nouera. C’est le 11 Mai 1926 qu’ils se rencontrent pour la première fois au College de Merton, où Tolkien apprend que Clive Staples Lewis vient d’être nommé Fellow et Tutor en langue et littérature anglaise au College de Magdalen. Les deux hommes n’ont pas grande estime l’un de l’autre au départ. Tolkien, sachant que Lewis fait partie du clan des littéraires se méfie, tandis que Lewis écrit à propos de Tolkien : « un petit bonhomme calme, pâle et bavard. » « Aucun mal en lui, a juste besoin d’une gifle ou deux. » (!) Mais une amitié longue et complexe naît lorsque les deux hommes se trouvent une passion commune pour la mythologie nordique et que Tolkien enrôle Lewis dans les Coalbiters. Puis Tolkien entre dans les Inklings et dès lors les deux hommes sont inséparables.


La Maison des Examens

En plus des réunions de leurs clubs respectifs ils se voient tous les lundis pour prendre un verre, et se croisent sans cesse dans les couloirs de la Maison des Examens. Lewis admire profondément les écrits de Tolkien, bien que celui-ci ait quelques réserves pour les siens, et l’encourage continuellement dans l’écriture. Tolkien dit à propos de cela : « Ce que je lui dois d’inestimable, ce n’est pas une « influence » comme on le comprend d’habitude, mais des encouragements. Il fut longtemps mon seul public. C’est de lui seul que j’ai pu avoir l’idée que mes «trucs » étaient autre chose qu’une manie personnelle. » Tolkien, par contre, influença grandement Lewis, et ce que lui, sans doute, lui dois d’inestimable, c’est sa conversion au christianisme après une longue discussion avec Tolkien et Dyson sur la vérité des mythes et du christianisme. A un moment pourtant leur amitié se refroidit. L’arrivée de Charles Williams, pour qui Lewis avait énormément d’affection, fit naître quelque chose qui ressemblait à de la jalousie chez Tolkien, et surtout, Tolkien était de plus en plus agacé par le comportement abusivement pro-chrétien de Lewis, à tel point qu’il le traita un jour de « théologien pour tous ». Il est probable aussi qu’il sentait qu’il y avait une trop grande part de ses idées à lui dans les écrits de Lewis. Ils restèrent pourtant bons amis, même si rien n’était plus pareil.

 A Oxford, Lewis avait fondé un club ; les Inklings, et eux aussi ont joué un rôle dans la vie d’écrivain de Tolkien.

« Ce n’étaient ni plus ni moins que quelques amis, tous mâles et chrétiens, dont la plupart s’intéressaient à la littérature. On dit souvent de tel ou de tel qu’il en fut « membre » à une période ou à une autre mais il n’y avait ni « membre » ni système de ce genre. Quelques uns venaient, plus ou moins régulièrement à certaines époques d’autres ne venaient qu’à l’occasion. Lewis en était le centre permanent sans qui une réunion eut été impensable. […] Le groupe ou plusieurs de ses membres se réunissaient dans un pub un matin de la semaine, en général le mardi à L’Aigle et l’Enfant ( surnommé l’Oiseau et le Bébé ). Le jeudi soir ils se retrouvaient dans le grand salon de Lewis à Magdalen, un peu après neuf heures. On faisait du feu, on bourrait les pipes et Lewis soudain s’écriait : « Alors personne n’a rien à nous lire ? » Quelqu’un sortait un manuscrit et lisait à haute voix – un poème, une nouvelle, un chapitre de livre. Puis venaient les critiques : des louanges ou des blâmes car c’était loin d’être une association d’admiration mutuelle. Puis tout se résolvait en discussions de toutes sortes, parfois très animées, pour se terminer très tard. »

Humphrey Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie, Jack.

C’est aux Inklings que Tolkien donne sa première lecture du Hobbit. Lewis en dit ceci à un ami : «Reading his fairy tale has been uncanny - It is so exactly like we both have longed to write (or read) in 1916 ; so that one feels he is not making it up but merely describing the same world into which all three of us have the entry. » (The Oxford of C.S. Lewis and J.R.R. Tolkien) Mais les critiques n’étaient pas toujours élogieuses, la réplique de Dyson à une de ses lectures est restée célèbre : « Pas d’autres elfes ! ».

Tolkien a profondément aimé ces réunions masculines et littéraires, c’était bien plus pour lui que l’occasion d’avoir un public à ses histoires. Lewis exprime cette joie de se retrouver entre amis jusqu’à tard dans la soirée de la manière que sans doute Tolkien l’aurait fait : « Ce sont des heures dorées, nos pantoufles aux pieds, nos pieds tendus vers la flamme, un verre à portée de la main, où le monde entier, et parfois plus encore, s’ouvre à nous pendant que nous parlons ; pas de droits l’un sur l’autre, aucune responsabilité, nous sommes tous aussi libres et égaux que si nous venions de nous rencontrer, en même temps que nous sommes baignés par une affection adoucie par les années. La vie-la vie naturelle- ne peut rien offrir de mieux. »  (The Four Loves, C.S. Lewis)

Il est probable que ce soit dans ces réunions si chères à son cœur que Tolkien était le plus égal à lui-même, il était alors celui que Humphrey Carpenter décrit ainsi : « Il a une voix étrange, grave, mais sans résonance, parfaitement anglaise, mais avec une qualité que je suis incapable de définir, comme si elle venait d’une autre époque ou d’une autre civilisation. » (H.Carpenter, J.R.R. Tolkien, une biographie)

L'Aigle et l'Enfant